Les enjeux théologiques
La reconnaissance des spécificités culturelles du lieu où se célèbre le culte comporte des enjeux théologiques importants. Nous en mentionnons quelques-uns.
Enjeu pour la théologie pratique :
La théologie pratique est cette discipline qui observe des pratiques, les analyse, établit des liens critiques entre la fidélité aux valeurs qui inspire ces pratiques et l’efficacité dans le contexte où elles se déroulent ; et tout ceci dans le but de les améliorer pour le perfectionnement de l’Église. Les ateliers Loka encouragent cette praxéologie (réflexion-action) et proposent des pistes d’intervention pour améliorer la musique du culte en contexte créole. Par exemple, dans les Églises évangéliques, nous observons que la prédication est souvent pensée comme le seul lieu d’enseignement (avec l’école du dimanche pour les adultes et les enfants). Pourtant, l’auteur de l’épître aux Colossiens affirme que le chant constitue un appui essentiel pour l’instruction : « Que la parole de Christ habite en vous dans toute sa richesse ! Instruisez-vous et avertissez-vous les uns les autres en toute sagesse par des psaumes, par des hymnes, par des cantiques spirituels, chantez pour le Seigneur de tout votre cœur sous l'inspiration de la grâce. » (3,16). Se pose alors la question suivante : les chants du culte dans les Églises en Guadeloupe instruisent-ils ? Sont-ils porteurs de la Parole du Christ ? Que faire pour qu’ils le soient : avec quels mots, quel langage, quelle poétique, quelle musicalité, quelle structure, quelle esthétique ?
Enjeu pour la missiologie
L’annonce de l’évangile aux Guadeloupéens a été faite en opposition avec la culture environnante. Il n’y a pas si longtemps, le missionnaire arrivait avec sa Bible et son recueil de cantiques (anglais ou français) et délivrait le tout, dans son emballage anglo-saxon ou européen, au missionné. Les habitudes culturelles, les traditions étaient soit ignorées soit sévèrement critiquées et condamnées. Dès lors, l’attitude de rejet de nombreux aspects de la culture par les missionnaires conduit le nouveau converti à s’isoler, à se couper de sa culture voire de sa famille. On pressent les effets pervers d’une telle situation d’autant plus que le Guadeloupéen est l’héritier d’une éthique du « vivre ensemble » dont les lieux de convivialité sont précisément ceux dont il est appelé à s’éloigner lorsqu’il se convertit. Ainsi, l’ouverture de l’espace cultuel à des traditions musicales considérées à l’époque des missionnaires comme des éléments « du monde », et donc à l’opposé des valeurs chrétiennes, permet de dépasser le rapport conflictuel que le chrétien évangélique a encore avec sa culture. Ou autrement dit, la contextualisation du culte et de sa musique passe inévitablement par une dialectique anthropo-théologique entre l’identité culturelle et l’identité chrétienne ; mais cette dialectique décrite comme conflictuelle pour de nombreux chrétiens ne peut trouver de principe de résolution que si les difficultés inhérentes au binôme culte-culture sont posées et discutées avec la rigueur du discours missiologique. C’est ici, en amont, que l’œuvre du missionnaire commence pour éviter les erreurs du passé : s’assurer que le Guadeloupéen entende les merveilles de Dieu dans sa propre langue maternelle (Ac 2,11) et exprime sa louange ave une musique qui lui ressemble.
Il est utile de rappeler que pour être le sel de la terre et la lumière des nations, l’Église ne peut se tenir éloigner de ce monde ; à l’inverse, elle ne peut se confondre avec le monde (ou l’esprit du monde) de peur de perdre sa saveur d’Église du Christ. Ainsi, la conversation entre les musiques traditionnelles de la culture et le culte (langage et liturgie) ne peut se faire que dans ce que Darrell Bock appelle « l’intelligence culturelle » (Cultural Intelligence) : interroger la culture (avec discernement) et dialoguer avec elle.
Accueillir les spécificités de la culture musicale environnante c’est permettre à cette culture de devenir une offrande pour Dieu et de participer par anticipation à la parade doxologique de toutes les nations, de toutes les langues (Apoc 7,9-10).
Enjeu pour la spiritualité
(à venir)